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Quand on a le projet de concevoir un enfant, il est courant que notre gynécologue nous prescrive de l’acide folique. Mais pourquoi ? Et est-ce vraiment la meilleure option ?

L’acide folique, c’est quoi ?

L’acide folique est le nom que l’on donne communément à la vitamine B9.

Cependant, c’est un nom que l’on emploie de manière un peu abusive puisque le terme « acide folique » signifie en fait « vitamine B9 d’origine synthétique », autrement dit fabriquée dans les laboratoires, par opposition au folate, la « vitamine B9 d’origine naturelle » que l’on trouve dans certains aliments.

Pour éviter les confusions, dans la suite de l’article nous utiliserons « acide folique » pour désigner la vitamine B9 d’origine synthétique, « folate » pour désigner la vitamine B9 d’origine naturelle, et « vitamine B9 » pour parler de ce nutriment sans distinction.

La vitamine B9, à quoi ça sert ?

La vitamine B9 est utile pour de nombreuses fonctions de notre organisme : synthèse de l’ADN et de l’ARN, croissance et division cellulaire, métabolisme des acides aminés/protéines…

Une insuffisance ou carence en vitamine B9 peut de fait entraîner des problèmes de division cellulaire et de synthèse des protéines, des processus absolument vitaux. En cas d’insuffisance ou de carence, ce sont les cellules ayant la capacité de se diviser rapidement qui sont affectées en premier : les globules rouges, les cellules du système digestif, l’embryon… pouvant ainsi entraîner l’anémie mégalobastique, la détérioration du tube digestif, une croissance et un développement du foetus moins rapide lors de la grossesse…

D’ailleurs, on a remarqué qu’une insuffisance ou carence en vitamine B9 pouvait entraîner des malformations du tube neural de l’enfant (malformations congénitales du cerveau, de la colonne vertébrale et/ou de la moelle épinière parmi lesquelles la fameuse spina bifida) qui se forme d’ici le 28e jour de grossesse, autrement dit quand on ne sait pas encore que l’on est enceinte. Ce pourquoi il est recommandé de se complémenter en vitamine B9 en amont de la conception.

On trouve de la vitamine B9 dans les aliments suivants : légumes verts comme les épinards ou encore le brocoli, les légumineuses comme les haricots rouges ou les lentilles, le foie, les agrumes… Néanmoins, l’apport via l’alimentation n’est parfois pas suffisant, et pour ne pas prendre de risque en préconception, la complémentation est donc recommandée.

Faut-il prendre de l’acide folique ou du folate ?

Le folate résiste mal à la lumière et à la chaleur (il est instable au-delà de 60 degrés). Entre l’oxydation et la cuisson, une partie du folate alimentaire est donc perdu lors de la dégustation. L’acide folique quant à lui est davantage biodisponible, autrement dit il est plus facilement absorbé dans le sang. On pourrait donc penser que l’acide folique est à privilégier.

Néanmoins, une fois absorbés, c’est le folate qui prend l’avantage sur l’acide folique :

  • le folate ne doit subir qu’une seule réaction pour devenir utilisable par le corps. Cette réaction s’appelle la methylation. Il s’agit d’un processus par lequel on ajoute un groupe méthyle (un atome de carbone et trois atomes d’hydrogène) à un substrat comme par exemple un gène, une enzyme, une hormone, un neurotransmetteur, une vitamine… en l’occurrence le folate. Le folate se trouve ainsi « méthylé », on l’appelle alors méthylfolate, et il peut ainsi entrer dans les cellules.
  • une grande partie des folates naturels sont déjà présents sous forme active de méthylfolate directement utilisable par le corps et la méthylation n’est alors pas nécessaire.
  • l’acide folique doit lui subir de nombreuses réactions avant de passer par la méthylation et d’être finalement transformé en méthylfolate. Or ces nombreuses réactions ne se font pas nécessairement efficacement en fonction de votre profil génétique, votre statut nutritionnel ou encore votre environnement. Si c’est votre cas, la complémentation en acide folique ne sera pas efficiente.

Par ailleurs, l’acide folique ressemblant structurellement au folate, il peut venir se loger dans les récepteurs du folate, empêchant celui-ci d’accéder aux cellules. Autrement dit l’acide folique peut non seulement potentiellement ne pas être transformé en une forme utilisable par le corps (méthylfolate), mais il peut en plus empêcher l’utilisation du folate, générant ainsi une « carence »  cellulaire en folate, et ce même si notre corps en regorge.

En bref, c’est donc un vrai raccourci pour notre corps d’avoir affaire au folate plutôt qu’à l’acide folique, d’autant plus que l’acide folique peut agir comme un parasite et bloquer l’utilisation du folate. Il est donc préférable de se supplémenter en folate plutôt qu’en acide folique. Encore mieux : saviez-vous que vous pouviez directement vous complémenter en méthylfolate ?

Mais l’histoire ne s’arrête pas là !

Au-delà de l’acide folique/folate : l’importance du cycle de méthylation

Le folate une fois activé, c’est-à-dire une fois devenu méthylfolate, est ensuite le point de départ du cycle de méthylation, une série de réactions chimiques dont le but est de créer un certain nombre de substances servant à plus de 200 fonctions parmi lesquelles : activation ou désactivation des gènes, réparation et maintenance de l’ADN, développement du système nerveux central, synthèse des neurotransmetteurs et des protéines, gestion des hormones, détoxification hépatique, production d’antioxydants, régulation de l’immunité et des fonctions cardiovasculaires, production d’énergie… La méthylation s’active d’autant plus durant la grossesse pour favoriser le développement du bébé et du placenta.

Pour pouvoir donner le « go » au cycle de méthylation, le groupe méthyle précédemment ajouté au folate doit être transféré à la cobalamine (vitamine B12) qui devient alors méthylcobalamine. La méthylcobalamine va ensuite transférer son groupe méthyle à l’homocysteine pour former la méthionine qui sert notamment à la synthèse d’ADN. De son côté, une fois délesté de son groupe méthyle, le folate peut exercer ses fonctions.

Pour résumer, la vitamine B9 à elle seule ne peut pas grand chose : elle a besoin a minima de B12 pour fonctionner et permettre à d’autres processus primordiaux d’avoir lieu. Autrement dit, l’insuffisance ou carence en vitamine B12 rend inutile l’apport en vitamine B9 et est donc tout aussi problématique que l’insuffisance ou carence en vitamine B9.

On pourrait même dire que les malformations du tube neural peuvent non seulement être causés par une insuffisance ou carence en vitamine B9 mais aussi par un cycle de méthylation non optimal. Ce pourquoi il ne faut pas s’arrêter à la vitamine B9, et penser à la « big picture », c’est-à-dire au cycle de méthylation. Au-delà des malformations du tube neural, des niveaux suffisants de vitamine B9 et un cycle de méthylation qui fonctionne bien pourraient permettre de prévenir les freins restrictifs chez les enfants, la dépression postpartum, les nausées et vomissements lors de la grossesse, réduire le risque de fausses couches…

En plus d’une quantité suffisante en vitamines B9 et B12, la méthylation requiert des cofacteurs, c’est-à-dire du « fuel » sous forme de magnésium, zinc, choline, vitamine B6, vitamine D, vitamine C… Voilà donc d’autres nutriments qu’il est nécessaire d’avoir en quantités.

La méthylation est par ailleurs compromise en présence de toxines comme les perturbateurs endocriniens, les métaux lourds (mercure, arsenic, plomb…), les mycotoxines (toxines relâchées par les moisissures)… d’où l’importance de réduire notre exposition à des substances toxiques. Mais elle est aussi compromise par certains médicaments dont les antiacides, le stress, ou encore par une variation du gène MTHFR (methylenetetrahydrofolate reductase), le gène codant pour l’enzyme du même nom permettant d’ajouter un groupe méthyle à la vitamine B9. On estime que cette mutation est présente chez 40 à 60% de la population. Les personnes concernées ne peuvent donc pas réaliser le cycle de méthylation de manière optimale.

Alors que faire ?

Quand on souhaite concevoir, pour éviter les problèmes de cycle de méthylation, mieux vaut donc :

  • manger des aliments riches en folates (dont une partie est déjà sous forme de méthylfolate)
  • se complémenter en folate plutôt qu’en acide folique
  • voire idéalement se complémenter en forme active de folate, le méthylfolate (que l’on appelle aussi MTHF ou 5MTHF), plutôt qu’en simple folate, en particulier si on a une variation du gène MTHFR.
  • se complémenter en nutriments essentiels à la méthylation comme les vitamines B12, B2, B6, magnésium, zinc, choline… d’où l’utilité d’un complexe de multivitamines prénatales bien formulé. Concernant les vitamines du groupe B, mieux vaut qu’elles soient elles aussi sous leur forme active ou « méthylée » (méthylcobalamine pour la B12 par exemple) en particulier pour les personnes ayant une variation du gène MTHFR.
  • manger des aliments riches en choline (oeufs, viande rouge, volaille, poisson, foie et autres abats) ou bien si vous êtes végétarienne/vegan et que votre complément prénatal ne contient pas de choline, ajouter un complément de choline.
  • éviter les perturbateurs de la méthylation : réduire votre exposition aux perturbateurs endocriniens, aux métaux lourds, aux moisissures ou à certains médicaments si c’est possible, et comme toujours réduire le stress.

Pour creuser les sujets traitant de la conception et de l’alimentation, vous pouvez allez sur le site de Jolly Mama, vous y trouverez de nombreux articles très intéressants dont quelques-uns que j’ai écrits.

Attention à ne pas vous auto-complémenter, les compléments alimentaires ne sont pas anodins, peuvent interférer avec d’autres compléments, des aliments et des médicaments, ne pas être adaptés à votre situation personnelle, sans compter qu’il faut bien les choisir et adapter les dosages. Il est donc préférable de se faire conseiller par un praticien de santé spécialisé en nutrition. 

SOURCES

Amitai Y. et al. « Pre-conceptional folic acid supplementation: A possible cause for the increasing rates of ankyloglossia » Medical Hypotheses 134 (2020)

Blom H. et al. « Neural tube defects and folate: case far from closed » Nature Reviews Neuroscience 7, no.9 (2006): 724-731

Christensen K. et al. « High folic acid consumption leads to pseudo-MTHFR deficiency, altered lipid metabolism, and liver injury in mice » American Journal of Clinical Nutrition 101, no.3 (2015): 646-58

Greenberg J. et al. « Multivitamin Supplementation During Pregnancy: Emphasis on Folic Acid and l-Methylfolate » Reviews in obstetrics and gynecology 4 (2011): 126-127

Imbard A. et al. « Neural Tube Defects, Folic Acid and Methylation » International Journal of Environmental Research and Public Health 10, no.9 (2013): 4352-4389

Jarnfelt-Samsioe A. « Nausea and vomiting in pregnancy: a review » Obstetrical and Gynecological Survey 42, no.7 (1987): 422-7

Källén B. et al. « Use of folic acid and delivery outcome: a prospective registry study » Reproductive Toxicology 16, no.4 (2002): 327-332

Lynch B., Dirty Genes: A Breakthrough Program to Treat the Root Cause of Illness and Optimize Your Health

Lynch B. « Folic acid and pregnancy: Is folic acid the right choice? » YouTube, 7 Sept 2016 https://www.youtube.com/watch?v=tnVRv0zGsFY

Obeid R. et al. « Is 5-methyltetrahydrofolate an alternative to folic acid for the prevention of neural tube defects? » Journal of perinatal medicine 41, no.5 (2013):469-83